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Délais de paiement, la loi n'a rien changé au contraire

27 janv. 2017 Inforisk

Depuis novembre 2012, les délais de paiement sont plafonnés à 90 jours. Au-delà, l’entreprise s’expose à des pénalités de retard. Mais sur le terrain, très peu d’entreprises appliquent cette loi. «Il est difficile de l’appliquer quand vos concurrents s’en affranchissent. Cela revient à se tirer une balle dans le pied», confie le directeur général d’une PME.

«Nous essayons de ne pas accorder plus de 120 jours», poursuit notre interlocuteur. Attention, ne pas appliquer les pénalités de retard est assimilé à une libéralité par le fisc. Ses inspecteurs réintègrent systématiquement le montant abandonné. Les PME sont prises entre l’exigence d’entretenir la relation avec le client et la menace d’un redressement fiscal.

Quatre ans après la mise en place de la loi sur les délais de paiement, les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous. Au contraire, le comportement de paiement des entreprises s’est nettement dégradé. Entre 2012 et 2014, les délais clients se sont rallongés de 29 jours pour la TPE pour culminer à 232 jours! Ils se sont détériorés de 10 jours pour la PME (152 jours) et de 6 jours pour les grandes entreprises (77 jours). La situation ne s’est guère améliorée depuis. Se faire payer après 10, voire 11 mois est devenu courant dans de nombreux secteurs. Très mauvais payeur, l’Etat et plusieurs entreprises publiques sont dans ce cas. «Il faut attendre trois réincarnations pour être payé par certaines entreprises publiques», caricature un dirigeant.

Souvent, les grandes entreprises transforment de fait leurs fournisseurs et prestataires en banquiers. «Nous accordons généralement un délai de 90 jours à nos grands comptes. Mais, nous encaissons bien au-delà de cette échéance. Ils prennent des fois un mois pour vous donner la validation. C’est déjà bien si nous sommes payés à 120 jours», témoigne le patron d’une TPE qui emploie une vingtaine de personnes et réalise 6 millions de DH de chiffre d’affaires. Mais, il y a pire, concède-t-il. La peur de perdre le client retient les entreprises à entamer une procédure judiciaire pour être payé. «Nous cherchons toujours une solution à l’amiable. Même en engageant une procédure, nous ne savons pas à quel moment elle va aboutir», relève un chef d’entreprise.

Les délais de paiement trop longs affectent la rentabilité et la compétitivité des petites entreprises marocaines. Sur des marchés de benchmark, les comportements sont moins pénalisants. Au moins 20% des entreprises portugaises paient à échéance et près de 57% en 30 jours selon une étude de Dun&Bradstreet sur les comportements de paiement dans une trentaine de pays. En Turquie, la moitié des sociétés paient à temps et 36% sous 30 jours. Au Maroc, toutes les entreprises ne figurent pas sur le banc des accusés. «Il y a des entreprises sérieuses qui paient à temps, notamment les multinationales et certaines PME structurées», relèvent un patron. Il reste qu’elles sont une minorité.

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La loi sur les délais de paiement n’a pas permis d’endiguer le mal. Au contraire, la situation a empiré depuis 2012. Il est difficile pour une petite entreprise d’appliquer des pénalités de retard à un client par peur de perdre surtout dans un contexte où les carnets de commande ne sont pas bien garnis

L’allongement des délais de paiement participe beaucoup aux défaillances d’entreprises. Plus de 7.000 sociétés ont déposé le bilan en 2016 selon Inforisk (voir nos analyses dans L’Economiste du 19 janvier 2017). L’ampleur de la hausse des défauts (+21%) est surprenante. Le consensus marché tablait sur un ralentissement des défaillances d’entreprise. Parmi les survivants, le quotidien est difficile pour un certain nombre. «Il y a des structures qui sont surcapitalisées et qui n’ont pas de problème de trésorerie. D’autres par contre sont sur le fil du rasoir et sont très vulnérables aux changements conjoncturels», nuance un banquier.

L’application des délais légaux de règlement permettrait de renflouer immédiatement les caisses des entreprises de plusieurs milliards de DH. Cela sera violent au départ, reconnaît un chef d’entreprise, mais c’est un passage obligé pour endiguer le mal. Les entreprises disposent de plus en plus d’outils pour connaître la situation financière des clients et mieux apprécier le risque de contrepartie. Ceci dit, la réduction du crédit interentreprise qui culmine à 385 milliards de DH, est une urgence. Pour y arriver, «les banques doivent aussi jouer le jeu et refuser des effets de commerce de plus de 60 jours pour escompte ou plus de 90 jours sur dérogation», estiment des professionnels.

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