Partager

ECOACTU: Interview de Amine Diouri

26 sept. 2018 Inforisk
« Modéliser le risque de défaillances d’entreprises est judicieux et même nécessaire ».

Faute de la publication des arrêtés d’application sur les pénalités de retard, la loi 49-15, n’est malheureusement toujours pas applicable.

Amine Diouri, Directeur Etudes & Informations à Inforisk décortique la première étude qui traite des retards de paiements (par tranches de retard).

EcoActu : Sur un plan mondial, quelle lecture pouvons-nous faire des indicateurs, liés au comportement de paiement, fournis dans votre étude, et ce comparativement à des pays à développement comparable ?Amine Diouri : Tout d’abord, je tenais à préciser d’emblée que c’est la toute première fois au Maroc, qu’une étude traite des retards de paiement (par tranches de retard). Cela permet d’affiner notre connaissance sur cette problématique cruciale. Ce qui en ressort globalement c’est que plus de 16,5% des entreprises marocaines ont un retard de paiement supérieur à 90 jours (soit plus de 3 mois au-delà du délai légal), ce qui place le Maroc dans le peloton de tête des mauvais élèves au niveau mondial, derrière les Philippines (38% de retard à plus de 3 mois) et devant des pays comme la Roumanie (15%) ou les Emirats Arabes Unis (11%). Il est intéressant de noter que pour l’Europe et les Etats-Unis, seules 4% des entreprises en moyenne ont un retard de paiement moyen de plus de 90 jours. Cela nous montre le chemin qui nous reste à parcourir pour être dans la moyenne des pays vertueux !Il ressort également de votre dernière étude sur les retards de paiement que 15,8% du crédit interentreprises GE est bloqué dans des retards de plus de 9 mois ! Ce qui n’est pas sans impact sur le climat des affaires. La loi 49-15, qui stipule l’application d’un délai maximal de 90 jours, n’a pas amélioré les délais de paiement comme le souhaitent les fervents défenseurs de cette loi. Pourquoi à votre avis ?C’est effectivement le principal message de mon étude : 72% du crédit interentreprises est du par des grandes entreprises, soit quelques centaines d’entreprises. Or, pour plus de 16% d’entre elles, le retard de paiement s’étale jusqu’à 9 mois. Répondre à la problématique des retards de paiement, c’est obliger par la loi ces entreprises à régler leurs fournisseurs en temps et en heures. Concernant la loi 49-15, elle n’est malheureusement toujours pas applicable faute de la publication des arrêtés d’application sur les pénalités de retard, ainsi que des secteurs bénéficiant de délais dérogatoires. Il est donc urgent de publier ces arrêtés pour espérer une amélioration notable des délais de paiement. J’ajoute qu’il faudrait instaurer des pénalités suffisamment dissuasives (autour de 7%-8%) pour que les entreprises ne soient pas tentées de faire un calcul de substitution entre avoir recours au crédit interentreprises et demander un crédit bancaire. Bien entendu, tout cela a un impact négatif sur le climat des affaires. Je suis intimement convaincu depuis des années que cette question des délais de paiement est le point bloquant majeur pour nos entreprises. Faute de liquidités, elles ne peuvent ni recruter, ni investir et encore moins s’internationaliser. J’ajouterais même que cette problématique impacte la transformation de notre économie : pour beaucoup de chefs d’entreprises, travailler en B to B nécessite d’avoir un BFR très important pour tenir compte de cette question des retards de paiement. Nombre de ces chefs d’entreprises préfèrent travailler avec des clients B to C pour éviter cet écueil. Il n’est pas étonnant de voir certains secteurs comme la restauration se développer (café, restaurant, snacks…) au détriment des secteurs industriels ou de services.A priori la défaillance des entreprises est une équation à multiples variables et donc la mesure coercitive s’avère inefficace. N’est-il pas judicieux en ce moment de procéder à une modélisation de la défaillance des paiements afin de maitriser les variables et les coefficients de pondération des variables ?Une entreprise meurt faute de liquidités, d’un carnet de commande insuffisant ou de marges dégradées. L’idée de modéliser le risque de défaillances d’entreprises, est judicieuse et même nécessaire. C’est pour cela que nous proposons à nos clients sur notre plateforme un score de défaillance, qui prédit le risque de défaillance (redressement ou liquidation judiciaire) à un horizon de 3 ans. Pour pouvoir le faire, il faut disposer d’un large échantillon d’entreprises défaillantes et analyser différents critères quantitatifs (bilans sur les 3 derniers exercices) et qualitatifs (secteurs d’activité, ancienneté de l’entreprises…) pour faire ressortir les critères les plus discriminants. Les coefficients servent justement à pondérer l’importance d’un critère par rapport à un autre. Enfin, il faut tester les modèles proposés à travers différentes méthodes statistiques (taux de bon classement, indice de Gini) pour s’assurer de la pertinence du modèle.Dans le même ordre d’idées, pouvons-nous espérer que l’Observatoire des Délais de paiement, que le Ministère des Finances a lancé en collaboration avec la CGEM pourra-t-il solutionner les délais de paiement ?Le rôle d’un Observatoire est justement d’observer, de réaliser des études sur l’évolution des délais de paiement. Donc pour répondre à votre question, l’Observatoire ne résoudra pas directement la question des délais de paiement.  Pour venir à bout de ce problème majeur, il faudra un engagement politique fort, avec une loi 49-15 qui soit appliquée (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, je le rappelle) et qui sanctionne les contrevenants. Il faudra également de la pédagogie pour expliquer aux entreprises que ce n’est pas dans leur intérêt d’affaiblir un partenaire/fournisseur. Fort heureusement, le sujet commence à prendre de l’importance dans le paysage politique, à travers les différentes discussions entre le Ministère de l’économie et le Patronat.Dans votre étude, vous avez évoqué 2 approches différentes, « délais clients » et « délais fournisseurs ». Quel est l’intérêt de l’adoption de cette double approche sachant qu’une entreprise peut être à la fois source et victime du retard de paiement ?L’approche par les délais clients permet de mesurer qui sont les principales victimes des délais de paiement : clairement, ce sont les TPE les plus touchées avec un délai clients moyen approchant les 10 mois. Plus spécifiquement, les TPE des secteurs BTP et Commerce ont les délais clients les plus longs. L’approche adoptée dans cette étude est une vision « fournisseur », qui détermine qui sont les entreprises à l’origine de ces délais de paiement, et où se répartissent leurs retards de paiement. Avoir cette cartographie permettrait aux pouvoirs publics d’agir spécifiquement auprès des entreprises qui ont les plus longs délais fournisseurs.
Donner un avis

Vous devez être connecté pour publier un avis.
Connectez-vous en cliquant ici ou avec votre compte de réseau social